Jardin intime, rencontre avec Alexandre Jardin

C’est peu dire qu’Alexandre Jardin soit une personnalité exaltée. Tout entier à ses émotions, à ses sensations, il nous a accordé un entretien exalté tout en joie et transport. Toujours en mouvement, insaisissable, l’auteur nous a livré quelques fragments intimes avant que le Cers – vent du pays narbonnais d’où il nous parle – ne l’emporte vers d’autres horizons. L’histoire raconte qu’il court toujours… Rencontre.

Nous aimerions revenir sur la genèse de ce qui fonde votre qualité d’écrivain. Était-ce une vocation ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de prendre la plume ?

Alexandre Jardin : Je n’ai jamais voulu faire ce métier. Je ne voulais pas être romancier, je voulais faire du théâtre. Quand j’avais 18 ans, j’ai écrit deux, trois pièces que je ne suis pas parvenu à monter. J’ai pourtant eu des propositions extraordinaires mais j’ai été tellement con que je les ai repoussées. 

Pourquoi les avoir refusées ?

A.J. :  Parce qu’on me demandait de patienter ! Michel Bouquet m’avait proposé de jouer une de mes pièces mais il m’avait demandé d’attendre deux ans. Cela me semblait intolérable d’attendre si longtemps. C’était un scandale pour le jeune de 18 ans que j’étais. 

Et qu’est-ce qui vous a fait vous tourner vers le roman ? 

A.J. :  Finalement, je suis tombé sur une énorme femme alcoolique. Dans une queue de cinéma, j’ai rencontré un type qui connaissait mon père et qui me demande ce que je fais. Je lui réponds : « C’est un scandale, j’écris des pièces géniales qui ne sont pas montées. ». – En réalité elles étaient très mauvaises (rires). – Il m’a demandé une de mes pièces pour l’envoyer à Françoise Verny qui dirigeait Gallimard. Je ne voyais pas qui elle était et ça ne m’intéressait pas du tout. Je ne voulais pas écrire de romans mais des pièces de théâtre. Je lui ai répondu qu’à ma connaissance Gallimard ne possédait pas de théâtre et que tout cela ne m’intéressait pas du tout. Il m’a dit : « Tu es vraiment trop con. Je lui donne ton manuscrit. ». 

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Qu’est-il advenu ensuite ?

A.J. :  Françoise Verny le rappelle et demande à voir « le petit ». Je répète alors que ça ne m’intéresse pas du tout, que je ne veux pas écrire de roman, que je ne veux pas mourir jeune. J’avais dans l’idée que les écrivains mouraient jeunes. Mon père* est mort jeune et « romancier » me paraissait sinistre. Finalement, cette femme débarque chez moi, – j’habitais encore chez ma mère -. Je vois arriver une sorte de dinosaure. Une femme au physique très improbable. 130 kilos, une trogne ravagée par l’alcool. Elle pousse un barrissement, se jette sur une banquette et m’exhorte : « Chéri, fais-moi un roman ! ».

Plutôt folklorique comme entrée en matière…

A.J. :  Elle était bourrée et a proposé à ma mère de monter un « bordel littéraire » où les clients paieraient en copie. J’ai immédiatement pensé que si je ne voyais pas le destin avec une allure pareille, je ne le verrai jamais.

Vous vous êtes donc lancé dans l’écriture de votre premier roman : Bille en tête ?

A.J. :  Oui, ce premier roman je l’ai écrit pour cette femme. Et je découvre, qu’au fond, le roman m’intéresse beaucoup plus que le théâtre. J’ai compris que je ne pouvais pas vivre autrement. 

À en juger par le chemin parcouru et votre épanouissement artistique, cette rencontre, cette « épiphanie burlesque » a été bienvenue. Vous vous inscrivez également dans les pas de votre père en embrassant cette voie…

A.J. :  C’était évidemment une manière de le rejoindre. De me fabriquer une filiation à un moment où elle m’échappait.

On fantasme parfois l’écrivain tempétueux, caféiné à l’excès, retranché dans son bureau au milieu de feuillets en pagaille… à quoi ressemble votre quotidien ? Vous aviez cette petite maison aux Batignolles où vous écriviez. Comment travaillez-vous ?

A.J. :  J’écris tout le temps et n’importe où. Je n’ai pas forcément besoin d’un lieu fixe. Ça m’arrive d’écrire à la boulangerie du village. J’ai toujours trouvé bizarres les gens qui avaient des rituels. Quand on est réellement habité par l’obsession d’un livre, on ne cesse pas d’y penser parce qu’on est au bain. 

Qu’est-ce qui déclenche chez vous l’idée ou l’envie d’un livre ?

A.J. :  Avant que l’intrigue ne me passionne, je suis d’abord intéressé par un sujet. Un sujet c’est beaucoup plus profond qu’une intrigue. C’est un très grand désir, une très grande révolte, une très grande souffrance. À partir de ce sujet s’organise une intrigue. Je m’explique. Quand vous allez voir Le Parrain, vous n’allez pas voir un film sur la mafia, vous allez voir un film sur la famille. Tous les enjeux du Parrain, ce sont des enjeux familiaux. L’intrigue n’est là que pour soutenir le grand sujet du film et pour révéler son point de vue. Si vous prenez un livre comme Le Zèbre, la carrosserie est un roman d’amour. En réalité, c’est un roman sur le refus de la fatalité. Le héros du roman décide après 15 ans de mariage de partir à la reconquête de sa femme. Il ne supporte pas la fatalité de l’usure des sentiments. Et au troisième acte, il meurt. Normalement l’histoire devrait s’arrêter mais – pan – il continue à séduire sa femme depuis sa tombe. C’est juste une manière de dire que la plus grande des fatalités, la mort, ne va pas freiner cet homme. Le roman est donc bien plus une œuvre sur le refus de la fatalité qu’un livre d’amour. 

Quel rapport entretenez-vous à la création ? Vous maîtrisez tout le processus créatif mais dès que le roman est publié, quelque part, il ne vous appartient déjà plus.  

A.J. :  Elle ne m’appartient pas. Ce n’est pas mon œuvre. Même quand je la crée, elle appartient aux autres.

Nous vous savons très amoureux. Se peut-il que cet amour vous inspire un nouveau roman d’amour ?

A.J. :  Non. Ça fera peut-être un film mais pas un roman. L’amour que je vis me fait tout voir différemment. Je suis beaucoup plus intéressé par le fait de regarder différemment la vie depuis que j’aime cette femme. Elle pense autrement. Elle pense beaucoup plus large. Je suis en train de changer très profondément en face d’elle. Je découvre avec elle qu’un amour absolu est un changement absolu. 

Vous mesurez votre bonheur ?

A.J. :  Peut-être que cela nous arrive dans la vie à des moments où l’on est prêt à des changements absolus. La plupart des gens voudraient un amour qui ne bouscule pas les murs ou les fondations. Ça ne fonctionne pas comme ça !

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Les murs racontent des histoires, nous en sommes convaincus. Avec le confinement que nous avons vécu, beaucoup d’entre nous ont ouvert les yeux sur le fait que la maison était devenue un refuge. Un lieu extrêmement important pour la famille. Un lieu autour duquel on peut se recentrer, se ressourcer. On note un fort penchant des Français pour plus de simplicité, plus de choses essentielles. La maison est-elle devenue le sanctuaire de notre art de vivre ? 

A.J. :  C’est la première fois que la vie matérielle m’intéresse. J’ai acheté des maisons mais jusqu’ici je faisais des « chèques ». Ça n’a rien à voir avec le fait de faire une maison. En fait, je faisais des chèques pour me débarrasser du problème. Alors qu’aujourd’hui, avec ma compagne, nous créons cette maison pour mener une vie idéale**. Nous y intégrons énormément d’éléments qui correspondent à l’idée que l’on se fait de la vie idéale ensemble. 

Comment avez-vous choisi cette maison pour y lover votre histoire d’amour ?

A.J. :  L’histoire de cette acquisition est très étrange. Ma compagne étant canadienne, nous nous sommes écrit pendant plus d’un an sans pouvoir nous voir. Comme c’était trop long, nous avons décidé d’acheter une maison avant de nous rencontrer. J’ai poussé la porte d’une agence immobilière et j’ai dit : « Je voudrais une maison pour une femme que je n’ai jamais vue. C’est une grande histoire et donc je voudrais un endroit qui ait une poésie folle. ». L’agent m’a répondu que le marché était asséché mais il s’est proposé de me montrer comment il rénovait les maisons. Il m’a emmené dans ce bâtiment***, a pris une masse, est monté au deuxième étage et a commencé à défoncer le plancher. Il m’a expliqué pourquoi faire un jardin d’hiver en modifiant les volumes. C’est très bizarre de suivre un agent immobilier qui se met à défoncer la baraque ! Je l’ai d’ailleurs filmé, me disant que ça n’arriverait pas deux fois dans ma vie. 

Cette maison n’était pas à vendre ?

A.J. :  Non. Elle était pour lui. Il a commencé à s’attaquer aux tuiles avec la masse, arguant d’une volonté de détoiturer la bâtisse et à ce moment-là je lui ai dit : « Je vous l’achète. ». Cet homme correspondait à la poésie que je cherchais.  

Vous avez eu un coup de cœur pour cette maison ?

A.J. :  Non, pas pour la maison mais pour le récit qu’il m’en faisait. Je lui ai bien dit que je n’achetais pas la maison mais son histoire. 

Et l’histoire a débuté par la destruction des planchers…

A.J. :  Oui ! Et puis nous avons rénové cette maison. Ma compagne a commencé à diriger les travaux selon ses désirs. Je me souviens avoir bénéficié d’un laissez-passer pendant le confinement qui me permettait d’aller chercher tous les meubles qu’elle avait commandés sur Le Bon Coin. Vu d’Ontario, Rennes n’est pas très loin de Paris alors j’ai sillonné la France. En fonction du mobilier qu’elle dégotait, on faisait évoluer cette maison. Cet endroit est une création. 

En définitive, cette maison est votre art de vivre. Comment le définiriez-vous ? 

A.J. :  Ce qui m’intéresse c’est son art de vivre. C’est de vivre dans son art de vivre. J’aime sa vision claire. Elle a toutes sortes d’origines bizarres qui font d’elle une « femme-monde ». C’est fou parce que, la maison en chantier, entre Ontario et Paris, elle y venait assez peu et pourtant elle est présente dans chaque pièce, dans le choix de chaque lustre. Elle voulait des lustres partout. Pour elle c’est une manière de mettre ses bijoux au plafond. (rires)

Pour conclure cet entretien, quel est le livre qui vous a particulièrement marqué ?

A.J. : La vie de Disraëli, d’André Maurois. Il s’agit d’une biographie du premier ministre de la reine Victoria qui est sans doute l’homme politique le plus romanesque de tous les temps d’ailleurs. Il écrivait des romans d’amour.

Pascal Jardin était scénariste et écrivain.
** Alexandre et sa compagne ont fait l’acquisition d’une maison du côté de Narbonne et y effectuent des travaux.
*** La maison dans laquelle se trouve Alexandre au moment où il nous accorde cet entretien.

Propos recueillis par Alexandre Molitor

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Le Magazine De La Cour Au Jardin

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