Rencontre avec Nathalie Collange, artiste aux mille visages

Autodidacte, sensible, épidermique Nathalie Collange cultive avec beaucoup de finesse cet art brut qu’elle déploie avec passion. Comme l’eau d’une source, les portraits qu’elle peint semblent jaillir de son esprit fertile. Et parce qu’il est de bon ton de coller des étiquettes aux artistes et de parenter les êtres, on la compare parfois à Jean-Michel Basquiat. C’est vrai que certaines de ses oeuvres transpirent quelque chose qui nous rappelle les toiles du génie new-yorkais. Mais Nathalie Collange est bel et bien une artiste avec une identité propre. Une artiste organique et entière, avec ses inspirations, ses craintes et ses doutes. Une travailleuse acharnée dont le pinceau trace les contours de ses émotions conscientes et inconscientes.

Isabelle Larochette, De La Cour Au Jardin : Bonjour Nathalie, merci d’avoir accepté de vous prêter au jeu de l’interview De La Cour Au Jardin. En lisant votre bio j’ai noté que c’est très tardivement que vous êtes devenue artiste. Est-ce que vous avez eu des signaux qui vous ont laisser penser que vous alliez faire un jour de la peinture ? 

Nathalie Collange, artiste peintre Non aucun… Ma formation est tout autre. Je pense que c’est un événement de la vie qui a fait ça, une sorte de coïncidence étrange et après c’est sorti en flux tendu et ça continue. Je ne sais pas encore ce qu’est l’angoisse de la toile blanche, peut-être que ça viendra un jour pour l’instant ça ne vient pas et c’est très bien. En fait, c’est toute une vie qui sort à un moment donné. 

I.L. : Vous m’aviez raconté quelque chose d’assez chouette, le fait d’avoir près de chez vous à l’époque une artiste peintre. C’est elle qui vous avait dit de prendre un pinceau et d’essayer de vous exprimer…

N.C. : J’ai eu de la chance à l’époque j’avais monté une boutique de décoration qui avait beaucoup de presse et malgré tout, après quelques années, l’ennui s’était installé. Cette artiste, qui avait son atelier juste à côté de la boutique, m’avait conseillée pendant mes heures d’ennui de commencer à dessiner, ce que je n’avais jamais fait. Devant cet ennui effroyable, je l’ai écoutée et quand j’y ai goûté, je me suis rendu compte que je peignais quasiment jour et nuit. Le virus s’est installé, c’était trop tard. 

I.L. : Donc à partir de ce constat, vous avez changé de vie ? 

N.C. : J’ai changé complètement de vie, enfin pas professionnelle au début puisque je n’imaginais pas un seul instant pouvoir avoir de la visibilité avec ce que je faisais. Je faisais vraiment ça, à titre personnel comme passe-temps. Et puis il s’est avéré qu’un galeriste m’a repérée et m’a proposé quasiment tout de suite de m’exposer dans sa galerie, ça faisait 3 mois que je peignais. Comme je suis un peu d’un naturel timide, ça me semblait un peu bizarre. J’ai passé ma vie à exposer des objets de créateurs et de designers avec beaucoup de force et de joie, et que quelqu’un d’autre se mette à relayer mes créations, c’était très particulier. J’ai eu un peu de mal au début à accepter et tout le monde me disait que j’étais folle, que c’était l’occasion d’une vie et j’ai fini par dire oui. J’ai accepté de voir les premiers regards sur ma peinture, ce qui a été un peu bizarre.  

I.L. : Ce qui était bizarre c’était de voir que d’autres personnes puissent avoir un regard sur votre travail ? 

N.C. : C’est à dire que ce que je fais est une peinture que l’on aime ou que l’on n’aime pas. Pour ceux qui aiment, il y a une sorte de chose un peu hypnotique. Le premier souvenir que j’ai, à l’ouverture de l’exposition, c’est une dame qui était devant l’un de mes tableaux. Elle était à côté de moi sans savoir que je l’avais fait et elle s’est mise à pleurer. Mon premier instinct a été de me dire qu’elle pleurait parce que la peinture était incroyablement laide et très vite j’ai compris qu’elle pleurait d’autres larmes. J’étais terriblement gênée aussi de voir des gens poser les yeux sur mon travail, ça reste étrange. Quand je suis en galerie, il m’arrive souvent de ne pas dire que c’est moi l’artiste et d’écouter ce que les gens disent pour me laisser porter par cette espèce de communion entre le spectateur et mon travail. 

I.L. : Vous êtes née en Afrique et je me demandais s’il y avait des réminiscences dans vos dessins, dans l’expression de vos personnages de ce continent? 

N.C. : Indéniablement dans le choix des couleurs. Je pense qu’ils sont liés, c’est un peu spécial de s’auto-analyser mais je pense que c’est pour ça qu’on me catégorise dans l’art brut. C’est parce que c’est le premier pot de peinture à côté qui va parler. La couleur n’a pas vraiment d’importance, je pourrais travailler avec de la terre ça serait pareil. En ça je pense qu’il y a un côté très africain, très sanguin. Je me suis habituée à travailler avec un stylo bille, avec de la peinture pour le sol avec n’importe quoi. Après d’un point de vue des visages, ils ont des traits très négroïdes, ce que je ne décide en rien, je fais une peinture très automatique. C’est-à-dire que je me mets devant ma toile et ce qui sort doit sortir.

I.L. : Y compris pour les textes ? qui ne sont pas vraiment des textes il peut y avoir des chiffres, des lettres. 

N.C. : Ils sont un peu de l’ordre de l’écriture automatique aussi. Souvent les gens me disent : « mais qu’est-ce qui est écrit ? » et ma galeriste a cette réponse incroyable que je reprends maintenant :“c’est à vous de déchiffrer, ça sera votre histoire avec le tableau.”. J’aime bien cette idée parce que moi-même je n’arrive pas à les déchiffrer. Souvent ça m’arrive de regarder et de me dire « mais qu’est-ce que j’ai bien voulu écrire » et je ne sais pas. Après dans les visages on retrouve souvent des traits négroïdes, un peu vaudou, il y a un peu tout ça de l’Afrique. 

I.L. : Qu’est-ce que l’on ressent lorsqu’on présente ses œuvres au public ? Est-ce qu’on a de l’excitation ? De la crainte ? Dans quel état d’esprit vous êtes quand vous présentez vos œuvres ? 

N.C. : J’adorerais faire partie de ces artistes qui sont très heureux de présenter leur travail. Moi j’ai envie de m’enfuir au fin fond de l’Ouganda c’est ce que je ferais (rire). Je pense que je mets tellement de choses que j’ai l’impression que tout le monde va piller et va voir mais en fait c’est faux. Je me rends compte que chacun prend des petits bouts. Ma première émotion c’est plutôt de la peur ou de la crainte parce que je n’ai pas tellement de légitimité à être là…  Ça a été un gros problème d’accepter la non-légitimité de quelqu’un qui a commencé la peinture il y a 5 ans et qui fait des expos alors qu’il  y a des gens qui ont fait des écoles d’art et qui galèrent pendant 20 ans. J’ai eu ce problème de légitimité pendant longtemps, j’assume beaucoup mieux maintenant. 

I.L. : Est-ce que vous avez cherché à rattraper votre manque de formation par des lectures ou autre ? 

N.C. : À vrai dire non.. Ce qui est assez étrange, c’est que c’est à ma première exposition que j’ai découvert Basquiat auquel on m’a souvent comparée. Bien évidemment au fur et à mesure que j’ai commencé à peindre et que j’entendais des noms, j’ai commencé à regarder des œuvres. D’œuvre en œuvre, j’ai dévoré tous les musées d’Europe. Je suis une grande dévoreuse de musées, d’expositions mais pas que de peinture, tout ce qui est art textile, tout ce qui est exposable fait œuvre de joie pour moi. Et j’ai tellement aimé ça que j’ai fait de la boutique de décoration une galerie pour accueillir d’autres artistes. 

I.L. : Sans vouloir vous « coller d’étiquette », certains vous considèrent comme une expressionniste et vous vous parlez d’art brut. Où vous situez-vous ? 

N.C. : Moi j’aurais tendance à parler d’art brut parce qu’on dit que c’est l’art des fous et il y a une part de folie dans ce que je fais. C’est-à-dire que je « défiltre » totalement, je me moque des codes et de toutes les figurations existantes. Je trouve que c’est ma grande et peut-être ma seule liberté humaine, c’est celle de pouvoir lâcher sur la toile tout ce que j’ai envie de lâcher. C’est quelque chose qui m’est tellement cher que le jour où je commencerai à dessiner avant de peindre un tableau, j’arrêterai la peinture. C’est pour ça que je me rapproche plus de l’art brut ou de l’art singulier car c’est l’art des gens qui n’ont pas de vérité à faire une œuvre artistique. Moi j’ai besoin presque comme une art-thérapie de peindre et dessiner. Je dessine tout le temps. Je me rends compte que partout où je vais j’ai un stylo à la main, ça me fait du bien et ça m’équilibre. En ça il y a ce côté art brut et expressionniste parce qu’il faut le ranger dans un grand courant du 20 ème siècle. 

I.L. : Vous parlez vous-même d’une thérapie, alors la peinture pour vous c’est une catharsis ? 

N.C. : Complètement, après je suis quelqu’un qui vit bien, j’ai une vie que j’aime. La peinture me fait à peu près la même chose que la lecture. Je suis une grande lectrice et je suis très admirative de pouvoir coller trois mots les uns à la suite des autres. Ce que font les auteurs me fascine complètement et je me dis qu’avec tout, traits ou bouts de crayons, on arrive à toucher quelqu’un. Cette même magnificence moi je ne sais pas écrire alors je suis contente de lire je ne sais pas trop peindre non plus mais je passe au-delà du problème parce que c’est devenu une nécessité. Après je pense que si demain, écrire devient une nécessité, j’écrirais. Je n’ai pas du tout de scrupule avec ça. 

I.L. : Vous disiez tout à l’heure que finalement vous n’aviez pas d’idées précises, que c’était une fois face à votre toile que tout sortait. Un artiste en fonction de son état d’esprit va avoir telle ou telle inspiration. Quelles sont vos sources d’inspiration ? 

N.C. : Maintenant, je dirais principalement la nature. C’est assez étrange parce que j’aurais pu peindre des fleurs ou des arbres mais c’est en fait ce que la nature me donne à l’intérieur qui lâche petit à petit les souvenirs, le passé, le futur. C’est comme si je prenais le soleil, ça filtrait à l’intérieur de moi et ça se posait sur autre chose.  C’est une espèce de moi dans l’univers. Çe sont peut être mes ressentis, une émission sur France Culture sur le racisme qui va énormément me heurter et qui va me faire peindre. Je ne sais pas le matin pour le midi quand je vais à l’atelier ce qui va se passer.

I.L. : Justement cet atelier. Vous savez De La Cour Au Jardin ,ce sont les ressentis à travers les lieux. Un atelier pour un artiste c’est aussi très important. Est-ce qu’il doit être inspirant ? Comment vous choisissez votre lieu ? 

N.C. : Quand j’ai démarré, j’ai eu beaucoup de chance, j’étais dans un château qui avait été cédé à la ville par d’anciens moines. Moi qui ne suis pas du tout croyante, j’ai quand même un très grand respect des lieux, des belles pierres et des lieux ancestraux comme ça et limite je n’osais pas trop y peindre tant j’avais peur de faire du bruit, ce n’était pas forcément judicieux. Par la suite, j’ai envisagé un lieu un peu type loft que je pouvais saccager parce que je peins aussi par terre, je voulais avoir moins de scrupules à abîmer. J’ai donc changé pour ça et je pense que c’est le lieu qui convient le mieux à ma peinture. Cette peintre qui m’a un peu mise dans la peinture, m’a dit que je ne respectais pas mon travail. Je m’interroge quelques années plus tard et je me dis que c’est vrai, je ne le respecte pas, c’est que j’ai un très grand respect pour les artistes mais d’un côté, je sais que mes œuvres ne seront pas là dans 200 000 ans, que nous, on n’y sera peut-être plus et que c’est un peu du jetable et de l’instantané. Ce n’est pas très gentil de dire ça pour les gens qui achètent mes tableaux mais je pense que c’est pour disparaître. C’est fait pour donner un sentiment à quelqu’un et après il faut que ça sorte de chez moi, il ne faut plus que je les voie. 

I.L. : J’ai l’impression que vous êtes en train de nous dire que lorsque vous avez créé une œuvre, elle ne vous appartient plus. 

N.C. : Carrément . Ça m’est arrivé récemment à un dîner, très peu de gens connaissent mon visage, tout à coup j’ai levé les yeux et vu un de mes tableaux que j’ai reconnu parce qu’il y avait mon nom dessus. Pour dire qu’il était tellement sorti de moi et ce n’est pas un tableau qui datait d’il y a mille ans puisque je peins depuis 5 ans. A ce moment-là je me suis dit que cette toile n’était pas mal alors qu’elle était de moi. La même toile serait restée dans mon atelier, je me serais dit ce n’est pas possible, j’aurais repeint dessus parce qu’il ne faut pas qu’elle reste là. Si elles sont trop longtemps dans mon atelier, elles sont amenées à disparaître très facilement. 

I.L. : C’est-à -dire que vous les détruisez ? 

N.C. : Je repeins dessus. Il y a des toiles qui sont très lourdes en poids, elles ont des couches mémorielles de peinture (rire). Je déteste une toile blanche, d’ailleurs je n’en ai presque jamais. Je m’arrange toujours pour acheter des toiles qui ont déjà été peintes. J’aime la matière épaisse, j’aime quand c’est bien cochonné, je n’aime pas ce qui est lisse et propre.

I.L. : Si je vous suis bien une toile a une date de naissance et une date de mort, vous ne devez pas être trop adepte des musées alors…

N.C. : Si pour les autres, je trouve ça magnifique. Moi j’ai un peu de mal avec ça, il faut que ça bouge mais quand ça part chez les gens, souvent quand les collectionneurs achètent ils m’envoient des photos de la toile chez eux. D’abord je suis toujours un peu surprise parce que je fais un travail un peu visible et qu’il faut accepter tous les jours. Je demande comment les gens le font mais à priori ils le font et parfois plusieurs fois. Les formats aussi sont grands donc très imposants. Mais à vrai dire quand ils sont chez les gens c’est comme s’ils avaient été adoptés et je me mets à les aimer, à travers les gens ça devient acceptable pour moi.  

I.L. : C’est vrai que quand un tableau trouve sa place, ça lui donne une autre dimension. Un tableau dans deux lieux différents n’aura pas le même ressenti. 

N.C. : Mais complètement, moi j’achète beaucoup d’œuvres à des artistes que je suis ou que j’aime. Chez moi, j’ai beaucoup d’œuvres d’artistes un peu art brut aussi et en fait quand ils sont chez moi, je vois que c’est un pas un sentiment unique que j’ai. Bien sûr il y a aussi des artistes qui ont un grand melon, qui sont très fiers, qui adorent ce qu’ils font et qui ont presque le speech du commercial. Et il y en a d’autres qui ont ce discours de dire prenez une autre vie. C’est bien si mes œuvres trouvent un chemin en dehors de moi. 

I.L. : Je sais qu’aucune journée ne se ressemble mais quelle serait la « journée type » d’un peintre ? 

N.C. : Alors la journée type d’un peintre… Il y a des jours sans comme dans n’importe quel métier. Il y a des jours où on se lève et tout semble super limpide. D’un coup je peux faire 10 toiles dans la journée, je sens que le flux est limpide et joyeux et parfois je me dis ça y est ça s’est arrêté. Il n’y a plus rien qui circule ,l’émotion je ne la ressens pas, ça va pas le faire. En général, j’ai quand même remarqué que ce sont les moments où je sors le moins, où je vais le moins à l’extérieur, où je vois le moins d’expositions. Par exemple, le Covid était pour moi un peu violent. J’ai retransmis ça dans la lecture, j’ai trouvé que je m’appauvrissais dans cette idée de la transmission. J’ai beaucoup marché pour essayer de recevoir une autre énergie et ça a plus ou moins bien fonctionné. J’ai besoin de voir les gens, de regarder, de ressentir. Donc une journée si cette chose a été ressentie, elle se transmet, si elle a pas été ressentie, elle est difficile. Je m’astreins quand même à aller peindre parce que je pense qu’il y a l’inspiration et la transpiration, il faut travailler, quoiqu’il arrive, beaucoup. 

I.L. : Donc il y a quand même une sorte de discipline où vous vous imposez tous les jours 3h à 4h de peinture ? 

N.C. : C’est un peu ça. Après je pense que c’est ma formation de juriste et mon ancienne casquette de cheffe d’entreprise qui m’imposent aussi une discipline de travail, je parle pour moi. J’ai déjà essayé de peindre la nuit et de me la jouer un peu bohème peintre mais ce n’est pas du tout moi. Je suis avec cette rigueur-là qui m’est importante même si elle ne se retranscrit pas dans ma peinture. Je dois à mon atelier cette présence qu’il me rend.

Pour en savoir plus sur Nathalie Collange, c’est par ici !


Propos recueillis par Isabelle Larochette et Alexandre Molitor pour Le Magazine De La Cour Au Jardin

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